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Le surréalisme et le rêve

"J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps Sans doute que je m'éveille. Je dors debout, le corps exposé A toutes les apparences de la vie" (Robert Desnos, Corps et biens, "J'ai tant rêvé de toi", 1930)

Pour l'écrivain André Breton, théoricien du surréalisme qui fabrique des objets qu'il a rêvés, le surréalisme repose sur « la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d'associations négligées jusqu'à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. ». Il oppose à l'ordre et aux conventions un esprit de libération et développe la puissance créatrice issue du rêve, du désir et de l'instinct. Ce mouvement artistique est envisagé par ses fondateurs non comme une école artistiques, mais comme un moyen d’explorer plus avant les domaines de l'inconscient, du rêve, de la folie, ou encore des états hallucinatoires. Le but est d'approcher une autre réalité grâce à l'inconscient, mais surtout de libérer la conscience de ses limites conventionnelles.


Venus endormie, Paul Delvaux (1944)



Freud et le surréalisme

Avec la naissance de nouvelles manières de penser à partir des découvertes scientifiques, philosophiques et psychologiques d'Heisenberg ou Freud, une nouvelle conception du monde était imaginée : un monde ou l'inconscient serait souverain. Dès 1916 André Breton, ancien étudiant en psychiatrie, découvre Freud et ce révèle très réceptifs aux thèses freudiennes, fasciné par l'état de sommeil et de rêve qui libère l'inconscient permettant alors la création. Le rêve permet la connaissance suprême, c'est un univers d'images, de souvenirs refoulés sans logique. Ici, le rêve est l'une des activités les plus révélatrices de l'esprit. Parfois, dans la continuité de leurs théories s'inspirant de Freud, les surréalistes se penchent sur  les incohérences et bizarreries des rêves des malades mentaux. Néanmoins, un profond malentendu se crée entre Freud et les surréalistes. Le scientifique écrit dans une lettre que, pour lui, les surréalistes sont en réalité des fous. En effet, pour lui médecin, les productions des surréalistes mettent en avant la folie et non la psychanalyse, il n'adhère donc pas aux extravagances et provocations de ces artistes. De plus, le psychanalyste reproche à Breton et ses amis de vouloir intarissablement dompter l'inconscient en utilisant le rêve alors qu'il le qualifie d'insaisissable par essence. Pour lui, L'attitude de Freud va alors susciter l'ambivalence des surréalistes. Il écrira le 26 décembre 1932 à Breton dans l'une de ses lettres : « Bien que je reçoive tant de témoignages de l'intérêt que vous et vos amis portez à mes recherches, moi-même je ne suis  pas en état de me rendre clair ce qu'est et ce que veut le surréalisme. Peut-être ne suis-je en rien fait pour le comprendre, moi qui suis si éloigné de l'art.» Nous remarquons alors que la démarche des surréalistes s'apparente à une démarche scientifique puisqu'ils mènent des expériences afin d'accéder à l'inconscient : Breton et Soupault Les Champs magnétiques la première œuvre surréaliste est présentée comme une expérience. Après cet essai, de nombreux autres artistes - en particulier, en 1924 le poète Aragon dans Une Vague de Rêves  retrace le parcours du surréaliste - ont suivi leur exemple et se livrent avec passion à ces mêmes expériences.


Portraits de Freud, Salvador Dali (1938)

 Premières expériences littéraires

 En 1919, le surréalisme n’existe pas encore officiellement.  Cependant, Breton et Soupault écrivent ensemble Les Champs magnétiques. L’écriture automatique qu’ils expérimentent est un point de départ, une méthode qui donne naissance à des images plutôt qu’à des énoncés logiques. C’est une  parole poétique et libre qui met en lumière la part inconsciente sans laquelle l’homme ne peut être entier : « Trace odeur de soufre / Marais des salubrités publiques / Rouge des lèvres criminelles / Marche deux temps saumure / Caprice des Singes / Horloge couleur du jour »Le texte est écrit sous la dictée de la pensée, sans contrôle exercé par la raison, et sans préoccupation de valeurs esthétiques et morales. C'est donc une libération de l'esprit en supprimant les barrières posées par l'éducation. Les lois grammaticales n'ont aussi aucune importance.


Manuscrit des Champs magnétiques, André Breton et Philippe Soupault (1919)

En mars 1922 paraît un nouveau numéro de Littérature - revue crée en 1919 par Breton, Soupault et Aragon. Il comprend « Trois récits de rêves » de Breton et un article intitulé « Entretien avec le professeur Freud à Vienne ». Même si Breton ne put s’entretenir réellement avec Freud, ces deux publications montrent son intérêt pour la psychanalyse et l’expression de l’inconscient dans l’art.
Aux textes automatiques et discours parlé sous l'état de rêve viennent s'ajouter les récits de rêves : rêves nocturnes, rêves diurnes, immédiatement exprimés. Desnos par exemple, qui n'a nullement besoin de dormir pour rêver, et, qui reproduit sous un pseudonyme des phrases parlées à l'état de sommeil. Pour les surréalistes, les poètes sont les guides de l'humanité vers un idéal. Les textes du poète Robert Desnos portent les marques des nombreuses expérimentations mis en œuvre par Breton auxquelles il était assidu. En effet, très actif, il avait une grande faculté de création onirique et notait sous l'état d'hypnose, en écriture automatique ses rêves.




Je ne vois pas la femme cachée dans cette forêt, René Magritte et photomatons des surréalistes (ddans le sens des aiguilles d'une montre en partant dun coin supérieur gauche) : Maxime Alexandre, Louis Aragon, André Breton, Luis Bunuel, Jean Caupenne, Paul Éluard, Marcel Fourrier, René Magritte, Albert Valentin, André Thirion, Yves Tanguy, Georges Sadoul, Paul Nougé, Camille Goemans, Max Ernst, Salvador Dalì (1929)

Plus tard, Breton se souvint de son premier rêve secret : « C’est en 1919 que mon attention se fixa sur les phrases plus ou moins partielles qui, en pleine solitude, à l’approche du sommeil, deviennent perceptibles pour l’esprit sans qu’il soit possible de leur découvrir une détermination préalable. Un soir, en particulier, avant de m’endormir, je perçus nettement articulée, […] une assez bizarre phrase qui me parvenait sans porter trace des événements auxquels, de l’aveu de ma conscience, je me trouvais mêlé à cet instant-là, phrase qui me parut insistante, phrase, oserais-je dire, qui cognait à la vitre. […] c’était quelque chose comme : il y a un homme coupé en deux par la fenêtre… »
Le Surréalisme naît officiellement avec la parution du Manifeste de 1924 rédigé par Breton seul.
Pour lui, il faut revenir à l’imagination : « l’imagination est peut-être sur le point de reprendre ses droits. Si les profondeurs de notre esprit recèlent d’étranges forces capables d’augmenter celles de la surface, ou de lutter victorieusement contre elles, il y a intérêt à les capter, à les capter d’abord, pour les soumettre ensuite… ». Il écrit encore « Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l’on peut ainsi dire. C’est à sa conquête que je vais… ». Selon Breton, « Le langage a été donné à l’homme pour qu’il en fasse un usage surréaliste »


Le Sommeil, Dali (1937)

Des rêves collectifs 

Dans un autre numéro de Littérature, Breton signa un article intitulé « La Sortie du médium ». Séances de spiritisme, écriture automatique, et interprétation des rêves : le groupe des artistes gravitant autour de Breton raffole des jeux de mots et s’intéresse aux liens télépathiques secrets entre Duchamp  aux Etats-Unis et le jeune poète Desnos à Paris. Fin 1922, selon Aragon « une épidémie du sommeil s’abattit sur les surréaliste…ils sont sept ou huit qui ne vivent plus que pour ces instants d’oubli, où, les lumières éteintes, ils parlent sans conscience, comme des noyés en plein air… ». Cette  période qu’on a appelé plus tard l’ «Epoque des sommeils » fut marquée par une mode de « parler ses rêves, même s’il ne fallait pas dormir pour cela ! Breton, Eluard, Soupault ainsi que De Chirico entourent Desnos lors d’une séance d’écriture automatique. Pratique collective, tous écoutent cette parole des profondeurs, « tout l’au-delà de cette vie » d’après Breton lui-même semblant méditer  les énigmes de l’inconscient. L'inconscient est ici utilisé comme moteur de création permettant d'introduire des éléments surréels au réel. Pour le révéler, ils se servent de l'hypnose et de la préparation au sommeil. D'autres méthodes permettant la création artistique en faisant appel à l'inconscient utilisé par les surréalistes sont crées :
  • les jeux de définition : Choc entre les mots lorsqu'une personne pose une question commençant par  '' Qu'est-ce que '' et qu'une autre personne répond sans connaître la question.
  •  l'expérience des sommeils : Méthode consistant à utiliser le moment où le dormeur glisse dans le sommeil afin d'obtenir une pensée parlée sous l'état d'hypnose.

Séance de rêve éveillé: Groupe surréaliste, Man Ray (1924)

Les rapports du rêve chez les plasticiens du surréalisme

 L’écriture automatique et l’intérêt pour le rêve se sont appliqués initialement à la littérature. Mais les plasticiens adeptes du surréalisme cherchèrent chacun de leur côté une manière indépendante mais parallèle.


Femme couchée qui rêve, Alberto Giacometti (1929)

En 1924, dans Introduction au discours sur le peu de réalité, André Breton a l'idée de "certains de ces objets qu'on n'approche qu'en rêve et qui paraissent aussi peu défendables sous le rapport de l'utilité que sous celui de l'agrément". Marcel Duchamp avait déjà inventé le ready-made en 1913 et Picasso utilisait des objets du quotidien pour apporter du réalisme à ses œuvres, mais l'objet surréaliste sont de véritables matérialisations des rêves.  Ainsi Breton rêve d'un livre : "Le dos de ce livre était constitué par un gnome de bois dont la barbe blanche, taillée à l’assyrienne, descendait jusqu’aux pieds. L’épaisseur de la statuette était normale et n’empêchait en rien, cependant, de tourner les pages du livre, qui étaient de grosse laine noire. Je m’étais empressé de l’acquérir et, en m’éveillant, j’ai regretté de ne pas le trouver près de moi. Il serait relativement facile de le reconstituer. J’aimerais mettre en circulation quelques objets de cet ordre, dont le sort me paraît éminemment problématique et troublant." En 1931, pour la revue Le Surréalisme au service de la révolution, Dalí déclarait : "ces objets, qui se prêtent à un minimum de fonctionnement mécanique, sont basés sur les fantasmes et représentations susceptibles d’être provoqués par la réalisation d’actes inconscients." La plasticienne Meret Oppenheim réalise des objets inattendu inspirés par ses rêves : depuis son enfance son père, médecin fortement intéressé par les travaux de Carl Gustav Jung, l'incite à noter ses rêves.



Le Déjeuner en fourrure, Meret Oppenheim (1936), Loup-table, Victor Brauner (1939-1947) et Objet Indestructible, Man Ray (1923-1933)


Au printemps 1919, Miro se rendit pour la première fois à Paris. Il s’installa avec Masson en 1920, rue Blomet qui devint un lieu de rencontre des surréalistes.  En 1924, quand fut publié le Manifeste, il participait aux réunions du groupe et ses œuvres étaient publiées dans la revue La Révolution surréaliste créé la même année. En 1925-1926, il travailla sous l’influence de l’écriture automatique. Il peignait en extase, comme en état d’hypnose ou de rêve : « Je travaille dans un état de passion et d’emportement, disait-il. Quand je commence une toile, j’obéis à une impulsion physique, au besoin de me lancer ; c’est comme une décharge physique ». Il peignit en 1924 Le Carnaval d’Arlequin. Max Ernst raconta qu’il vit un jour dans l’atelier de Miro une énorme toile sur un chevalet. Il y avait au centre une magnifique tache, d’un bleu aveuglant et autour, telle une couronne serpentait une inscription écrite de la main de Miro : « Ceci est la couleur de mon rêve ».
Miro raconte encore : « à partir de 1925, je ne dessinais pratiquement plus que d’après des hallucinations. A l’époque, je vivais de quelques figues séchées par jour. J’étais trop fier pour demander de l’aide à mes collègues. La faim était une des meilleures façons de les provoquer. Je restais assis de longs moments à regarder les murs de mon atelier et j’essayais de capter ces formes sur du papier ou de la toile de jute. »


Le Carnaval d’Arlequin, Joan Miro (1924-1925)

En 1924, dès la formation officielle du groupe surréaliste, Masson fit son entrée. Il adopta la méthode de Breton. « La tentation fut grande alors d’essayer d’opérer magiquement sur les choses et d’abord sur nous-mêmes. L’entraînement était tel que nous n’y devions résister : ce fut, dès la fin de l’hiver 1924, l’abandon frénétique à l’automatisme. » Ses dessins automatiques firent grande impression sur le groupe et la revue La Révolution surréaliste en publia régulièrement. Les lignes étaient nerveuses, enchevêtrées et l’œil discerne des figures ou des objets évoqués sans jamais être définis.

Dessin automatique, André Masson (1925-1926)

Salvador Dali s’attacha à appliquer les théories freudiennes à sa peinture. Cependant il remplaça sa méthode paranoïaque-critique à l’automatisme d’André Breton. Le paranoïaque ne perd pas sa lucidité, et la maladie peut s’accompagner d’hallucinations et de visions, états intéressants pour les surréalistes : "Toute la journée assis devant mon chevalet, je fixais ma toile comme un médium pour en voir surgir les éléments de ma propre imagination. Quand les images se situaient très exactement dans le tableau, je les peignais à chaud immédiatement" raconte le peintre dans Ma Vie secrète.


Le Rêve, Salvador Dalí (1931)


Avant de rejoindre les Surréalistes, Max Ernst fréquente Dada où il s'illustre déjà comme un artiste habité par le monde onirique. De ses étranges collages à ses paysages cauchemardesques, Ernst tire son inspiration de ses rêves et de souvenirs enfantins, "partant d'un souvenir d'enfance au cours duquel un panneau d'acajou, situé en face de mon lit, avait joué le rôle de provocateur optique d'une vision de demi-sommeil et me trouvant, par un temps de pluie, dans une auberge au bord de la mer je fus frappé par l'obsession qu'exerçait sur mon regard irrité le plancher dont mille lavages avaient accentué les rainures" raconte-t-il dans Comment on force l'inspiration. En 1924 il réalise Deux Enfants sont menacés par un Rossignol. A ceux qui contesteraient la dangerosité du rossignol, le peintre répond en 1934 : "Mais c'est du passé, il me semble. Peut-être... A cette époque passé les rossignols ne croyaient pas en Dieu : ils étaient liés d'amitié avec le mystère. Et l'homme, dans quelle position se trouvait-il ? L'homme et le rossignol se trouvaient dans la position la plus favorable pour manger : ils avaient, dans la forêt, un parfait conducteur du rêve.
Qu'est-ce que le rêve ? Vous m'en demandez trop : c'est une femme qui abat un arbre."


Deux Enfants sont menacés par un Rossignol, Max Ernst (1924)

Des femmes surréalistes

Ce groupe d'artistes développent aussi l'idée d'une femme “initiatrice”, “médium entre l'homme et le monde” qui ouvre à l'homme les portes du surréel. Elle possède plusieurs facettes qui mènent à l'amour « sorte d'incarnation des rêves » correspondant à l'idée que la femme aimée est « un rêve qui s'est fait chair » (Dali). La femme est l'Amour, idéal et recherché par les surréalistes. En effet, il permet la libération du désir et de l'inconscient. Nous noterons que, par ailleurs, de nombreuses femmes entourent les surréalistes soit comme muses (Elena Diakonova dite Gala première femme de Paul Eluard puis objet de tous les cultes pour Dali, Nusch Eluard seconde épouse de Paul Eluard, Kiki de Montparnasse compagne de Man Ray et modèle plantureux de l'après guerre, Nancy Cunard auteure auparavant muse des dadaïstes) soit comme artistes à part entière (Remedios Varo Uranga, Leonor Fini, Dorothea Tanning, Kay Sage, Eileen Agar, Leonora Carrington, Frida Kahlo, Meret Oppenheim, Alice Rahon, Dora Maar ).

Femme endormie, Man Ray (1929)